Le Président du Parlement Européen, Antonio Tajani, a fait une adresse solennelle au parlement ivoirien, le 29 novembre 2017, en présence du président de l’Assemblée nationale ivoirienne, M. Soro Kigbafori Guillaume. Nous vous proposons l’intégralité de son discours…

Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro,
Mesdames et messieurs les députés,

Je voudrais, Monsieur le Président, tout d’abord vous remercier de m’accueillir dans votre prestigieuse Institution. Et en tant qu’Italien, vous l’avez dit, très bonne prononciation tout à l’heure, je comprends quand l’hospitalité n’est seulement formelle mais amicale. Ici je suis à l’aise parce que je vois que je suis entouré d’amis. Un grand merci à tous et à toutes..
Mon discours se déroule au lendemain du sommet parlementaire qui s’est tenu ici même et avant le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement qui s’ouvrira cet après-midi. Et en tant que Président du Parlement européen, il est important pour moi de m’exprimer devant vous car votre Institution est le symbole de la démocratie et de la diversité de la Côte d’Ivoire. Votre pays fait figure d’interlocuteur privilégié de l’Union européenne.
En effet, vous le savez, en juin dernier, le Président Ouattara s’est adressé en plénière du Parlement européen à Strasbourg. Me voici aujourd’hui devant vous, ceci est une preuve d’amitié entre nos deux peuples. Je tiens particulièrement à saluer le peuple ivoirien qui a démontré sa volonté de tourner la page des crises successives que le pays a traversées pour se projeter vers l’avenir. Et l’avenir sera, j’en suis certain, positif.
Le pays, en effet, sorti il n’y a pas si longtemps d’une crise politico-militaire, est devenu en quelques années une des économies les plus dynamiques du continent, avec une croissance estimée à 8% cette année. La deuxième économie de la région après celle du Nigéria.
La diversification de son économie et le développement d’une base industrielle a permis à la Côte d’Ivoire de résister à la chute des prix des matières premières. Ma visite hier après-midi au site industriel CEMOI de transformation de cacao m’a permis de voir concrètement le processus de modernisation que le pays a engagé.
Car au-delà de l’extraction, la transformation de la matière première est fondamentale pour le développement d’un pays car elle apporte une valeur ajoutée, emplois et plus de revenus pour un État. Ceci est le cas pour le cacao qui représente 15% du PIB national, plus de la moitié des exportations du pays et 2/3 des emplois et revenus des Ivoiriens. C’est le modèle à suivre : une base industrielle et la diversification de l’économie.

Je salue, à ce titre, le Plan National de Développement qui a comme ambition, à travers de nombreuses réformes, d’atteindre l’émergence à l’horizon 2020.

Je partage cette ambition et suis optimiste. Car la Côte d’Ivoire a de nombreux atouts, notamment sa pêche, sa base agricole importante (cacao, café, huile de palme, banane, ananas ...), mais aussi énergétique (pétrole).

Grâce au nouveau terminal de gaz liquéfié, la Côte d’Ivoire deviendra en effet un acteur régional de l’énergie. Les services sont aussi en train de se développer, particulièrement les télécommunications. Je me félicite aussi de la gestion rigoureuse de l’économie ivoirienne, en particulier la réduction importante de la dette qui permettra de pouvoir financer plus facilement des projets d’infrastructures routières, ferroviaires, si nécessaire pour le pays.

Il faut aller de l’avant et continuer sur le chemin des réformes, pour améliorer le climat des affaires, pour attirer plus d’investissements. Vous, en tant qu’organe législatif, avez un rôle fondamental dans ce processus.

En ce qui concerne la gouvernance, la semaine dernière nous avons reçu au Parlement européen Mo Ibrahim à l’ occasion de notre conférence de haut niveau sur l’Afrique (applaudissements).
Et il est apparu d’après l’index de sa Fondation que la Côte d’Ivoire est le pays africain qui a fait le plus au cours des dernières années en ce qui concerne l’État de droit et la bonne gouvernance.

Je voudrais aussi souligner l’abolition de la peine de mort qui renforce encore plus nos valeurs communes. Car l’Union européenne est la seule région au monde sans peine de mort.

Toutes ces avancées font que la Côte d’Ivoire a eu un regain de force au niveau régional, continental et international.

Au-delà des manifestations sportives comme les Jeux de la Francophonie célébrée cet été, la Côte d’Ivoire reçoit le Sommet Union Africaine - Union Européenne ainsi que tous les évènements annexes : le Sommet Parlementaire ou le Business Forum pour n’en citer que deux.

Sur la scène internationale, la Côte d’Ivoire pour la période 2018-2019 entrera comme Membre non-permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Je vous en félicite.

Je veux ajouter quelques mots sur les Nations Unies. L’Europe et l’Afrique ensemble et vous en tant que futur membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, vous jouerez un rôle important. Pourquoi ? Il faut Travailler ensemble pour défendre la paix. Face à ce qui se passe en Corée du Nord, vous avez le devoir ensemble Africains et Européens de nous engager pour dire ça suffit, il ne faut pas augmenter le risque de guerre. La guerre nucléaire serait un désastre, ce n’est pas seulement un problème pour l’Extrême-Orient, c’est un problème de toute l’humanité. Voilà pourquoi les Africains et les Européens ensemble à l’ONU pourraient avoir une majorité pour défendre la Paix, pour dire ça suffit quand il faut le dire. Parce que certaines fois, il faut dire ça suffit. Et je pense que pour le nucléaire, il faut dire ça suffit. L’Afrique et l’Europe veulent travailler en paix, la main dans la main ; aider les jeunes pour donner une prospérité à nos pays. Voilà pourquoi je pense qu’au niveau des Nations Unies, vous avez un grand rôle à jouer. Parce que si nous voulons défendre la Paix, Africains et Européens, nous devons travailler de façon de plus forte dans les prochaines années.

Vous êtes devenus un acteur incontournable démontré aussi par l’attention de la Présidence allemande du G20 à votre pays.
À vous de cultiver ses succès.

Cela dit je dois dire tout notre regret de ne pas voir à la Coupe du Monde en Russie Les Éléphants (rires et applaudissements). Moi, en tant qu’Italien, je partage les mêmes sentiments. On pourrait proposer au lieu de voir à la télévision les matchs de coupe du monde, d’organiser à Rome et à Abidjan des matchs Côte-d’Ivoire – Italie, pour que nous puissions nous amuser aussi. Pour soutenir nos deux équipes qui malheureusement sont en dehors de la Coupe du monde. Vous nous avez donnez tant de plaisir à voir jouer les joueurs de la génération dorée : Drogba, Yaya Touré et bien d’autres. Vous savez pour les Italiens, le football est très important.

Malgré ces avancées, des défis subsistent : la pauvreté, les inégalités, l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable ou encore à l’électricité. Les infrastructures et les investissements étrangers restent encore très faibles.
La Côte d’Ivoire est un pays jeune avec une démographie importante. La priorité est donc de créer des emplois pour cette jeunesse. L’Europe est là pour travailler ensemble, d’égal à égal, sur ces sujets. Nous devons développer une forte diplomatie économique et investir plus et mieux dans ce pays.
Il faut encourager les PME et les entrepreneurs, aussi féminins. Car n’oublions pas que les femmes participent grandement à l’économie informelle. Je crois que nous devons créer plus de mobilité entre nos deux continents mais aussi intra-Afrique pour former la nouvelle génération de leaders Africains.

La mobilité passe aussi, à mon égard, par un « Schengen africain ».
Les Africains doivent pouvoir voyager plus librement sur leur continent. Souvent il est plus facile pour un Européen de voyager en Afrique que pour des Africains.
Ceci faciliterait l’intégration politique et économique du continent. La CÉDÉAO est un modèle d’intégration à suivre.
La paix, la sécurité et la stabilité doivent aussi être aux premiers rangs de nos efforts. Sachez que nous n’oublions pas que la Côte-d’Ivoire, comme l’Europe, a été frappée par des attaques terroristes, notamment à Grand-Bassam.
Il s’agit là d’un fléau que nous ne pourrons pas résoudre tous seuls. Nous devons coopérer ensemble dans ce domaine, aussi à travers les organisations régionales comme la CÉDÉAO ou l’Union Africaine. Mais n’oublions pas aussi la piraterie maritime ou encore le narcotrafic. Pour cela, il faut donner une attention particulière au Sahel pour éviter que les terroristes et les trafiquants se propagent dans toute l’Afrique de l’Ouest. Car votre pays a toujours été un symbole de diversité culturelle et religieuse, c’est une richesse qui va préserver dans la lutte contre la radicalisation.
Je pense que le dialogue inter religieux est très important, même en Europe pour expliquer aux uns et aux autres que ‘’qui tire au nom de Dieu tire contre Dieu‘’, il faut qu’il y ait un dialogue religieux permanent entre les différentes religions. Nous avons en Europe des chrétiens, des juifs, des musulmans, il faut permettre à chacun de défendre sa religion, mais la religion, ce n’est pas la haine, la religion, c’est l’Amour. C’est malheureusement le contraire qui se fait. Votre pays, je pense, est un bon exemple.
Enfin, n’oublions pas le développement durable et le changement climatique, un autre sujet essentiel. Car sans en être responsable, la Côte d’Ivoire subit ses effets : sécheresses, inondations, érosion côtière. Nous avons été ensemble à l’origine du succès de l’accord sur le climat de Paris, à nous maintenant de le respecter.
Le phénomène de la migration doit aussi être au centre de notre attention. Voilà pourquoi il faut agir sur les investissements, la stabilité, le changement climatique.
J’en parlais ce matin-même avec le Président Ouattara, parce que je pense que ce défi est très important. Il faut bien sûr travailler pour la stabilité du Nord de l’Afrique, pour la stabilité de la région du Sahel, il faut permettre aux jeunes africains de rester ici. Il faut aussi annihiler le scandale que nous avons vu… début d’une nouvelle saison d’esclavage, il faut le bloquer tout de suite, voilà pourquoi avec le Parlement Panafricain, nous avons décidé d’envoyer sur le terrain des députés africains pour voir ce qui se passe. (Applaudissements). Ce n’est pas une chose contre la Lybie, absolument pas, c’est une chose contre les trafiquants, contre les passeurs, nous ne savons pas d’où ils viennent ; Bien sûr il y a des organisations au niveau international, africaines et européennes mais nous ne savons pas. Nous respectons la Lybie et nous voulons que la Lybie retrouve son unité. Nous voulons seulement bloquer cette histoire de début d’une nouvelle saison d’esclavage. C’est inacceptable pour vous et pour nous.
Notre relation est déjà bien établie et nous disposons de plusieurs instruments qui la concrétisent. Par exemple, le fonds européen de développement qui atteint 273 millions d’euros pour la période 2014-2020 avec une attention prioritaire à la paix, à l’agriculture et à l’énergie.
Mais il en existe aussi d’autres comme l’instrument de contribution à la paix et à la stabilité qui pourrait être utile pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration. Le Fonds Fiduciaire d’urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière qui a été élargi pour inclure la Côte d’Ivoire. Nous sommes par ailleurs les premiers investisseurs dans votre pays.
En effet, la Côte d’Ivoire fait figure de pays prioritaire pour la diplomatie économique européenne. Ce qui démontre notre volonté de renforcer nos liens à tous les niveaux, inclus ceux économiques.
Et je pense, en tant qu’ancien, comme l’a dit M. le Président Guillaume Soro, vice-président de la Commission européenne responsable de la politique industrielle, que ce domaine doit être soutenu. La diplomatie économique est très importante. Votre pays est un exemple en matière d’investissement économique européen. Il faut le multiplier en suscitant des partenariats entre les entreprises africaines et européennes pour développer une vraie politique industrielle, pas polluante mais industrielle. Si vous avez des problèmes de chômage, nous avons aussi dans nos pays, en Espagne et en France, des problèmes de chômage des jeunes. La bonne façon de trouver du travail pour les jeunes, c’est de renforcer la politique industrielle, la création de petites et moyennes entreprises, les startups … On peut renforcer ce lien, on peut travailler ensemble ; nous sommes prêts à vous présenter notre savoir-faire dans le domaine des entreprises industrielles. Bien sûr l’industrie moderne doit être une industrie qui travaille à un niveau digital car la digitalisation c’est l’avenir. Il faut que nous travaillions ensemble pour découvrir ce que nous pouvons faire, notamment la création d’entreprises modernes compétitives et on peut mieux faire dans le domaine de la transformation des matières premières. Voilà pourquoi, moi j’y crois fermement à cette coopération.

J’ai commencé à travailler avec l’Union africaine quand j’étais Commissaire au transport pour relier les réseaux trans-européens et transafricains, pour développer l’économie. Mais aussi comme je l’ai dit, pour avoir une industrie compétitive, il faut avoir aussi des travailleurs bien formés. C’est pourquoi il faut investir dans l’éducation, beaucoup plus, pas seulement chez vous mais aussi chez nous. Les universités, les écoles, il faut susciter des échanges entre les universités européennes et les universités africaines pour renforcer les liens, parce que sans éducation, sans formation, il n’y a pas d’avenir. Il faut investir aussi l’argent, pas le gaspiller à droite et à gauche. Il faut savoir choisir où faire ses investissements, quand je parle d’un plan Marshall pour l’Afrique, je dis qu’il faut investir plus en tant qu’européens pour renforcer le réseau des transports, du numérique, de l’éducation, la formation, les échanges.
Je conclus pour dire qu’il faut avoir une stratégie politique pour la Paix. L’Afrique et l’Europe peuvent travailler ensemble et avoir une majorité à l’ONU. Il faut avoir aussi une stratégie pour le développement économique pour la stabilité du monde surtout dans la région méditerranéenne, mais avec ceux qui empruntent des bateaux de la Chine qui passent à côté de l’Afrique soit à droite, soit à gauche. Une volonté politique, notre engagement est important. Vous et nous représentons les citoyens africains et européens. Nous ne pouvons pas décider seulement au niveau des chefs. Il faut bien comprendre que ces engagements sont très importants pour eux. Il faut qu’on soit proches de nos citoyens, qui ne comprennent pas souvent ce que nous faisons, même chez nous en Europe. Les citoyens de nos Etats sont mécontents de nos réponses, c’est pourquoi nous devons mieux communiquer avec nos bases. Et ce sont les parlements qui doivent pousser dans ce sens les autres institutions.
C’est en ce sens que la diplomatie parlementaire est très importante comme l’a dit le Président Guillaume Soro. Nous connaître, nous parler et discuter. C’est pourquoi j’ai proposé à M le Président d’organiser un voyage des fonctionnaires de votre Parlement chez nous à Bruxelles pour renforcer la coopération au niveau des services parlementaires, au niveau des techniques, pour voir ce que nous pouvons faire ensemble, pour renforcer aussi la coopération politique. Et je salue à cet effet la récente ouverture d’une mission ivoirienne auprès d’une mission européenne. C’est un message d’engagement fort du coté de votre pays pour renforcer les relations entre nos deux peuples.
Mesdames et messieurs les députés, Monsieur le Président, la Côte d’Ivoire peut et doit servir d’exemple aux autres pays du continent africain en particulier les pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons de nombreux défis communs mais beaucoup d’opportunités à saisir ensemble.
Vous pouvez compter sur mon engagement personnel.
Merci !
Vive la Côte d’Ivoire, Vive l’Europe !